Entrevue avec Marie-Ève Dicaire par Jeff Jeffrey
Journaliste et Chroniqueur boxe, TVA Sports, JIC
Depuis le 1er décembre 2018, Marie-Ève Dicaire (17-0) est la championne invaincue IBF des super mi-moyens. Pourtant elle entrera dans le rôle de la négligée le 5 mars à Flint, Michigan. La raison? Claressa Shields (10-0, 2 ko’s), 2 médailles d’or aux olympiques, actuelle championne unifiée chez les 154 et 160 livres. De loin, la meilleure boxeuse de sa génération.
Avec sa victoire sur Ivana Habazin en janvier 2020, elle a atteint la distinction de la pugiliste la plus rapide à conquérir des titres majeures dans 3 catégories différentes, soit en 10 combats professionnels, fracassant ainsi le record de Vasyl Lomachenko de 12.
Il faut être honnête, l’avantage va à Shields avec tous ses accomplissements, elle semble intouchable. Cependant, Si Dicaire arrive à malmener, brutaliser et couper une rivale visiblement invincible, il y aura du sang dans l’eau. À ce moment, les requins tourneront autour d’elle, car elles comprendront qu’elle n’est pas invulnérable et ce serait une immense victoire. Je crois que c’est en premier lieu le but de Dicaire, de démontrer que Shields est battable et le second est de la vaincre afin de remporter les 3 autre couronnes ( WBA, WBC, WBO) de sa division. Tout peut arriver à la boxe.
Toujour généreuse de son temps, nous avons discuté, Marie-Ève et moi, du plus grand défi de sa carrière.
Jeff Jeffrey: Après presque d’une année d’attente, tu affronteras Claressa Shields dans l’ultime unification des super mi-moyens. Les 4 couronnes majeures de cette catégorie sont en jeu. Quand as-tu appris la bonne nouvelle et quelle était ta réaction?
Marie-Ève Dicaire: Neutre. J’étais désillusionnée avec la remise constante du combat. On avait perdu une année dû en grande partie à la pandémie et nous étions prêts, moi et mon équipe, a passé à un autre appel. Mais Yvon a persévéré et, même si j’avais de la misère à croire à la concrétisation de l’entente avec le clan Shields, on y est finalement arrivé. Maintenant, je suis vraiment contente.
JJ: Le duel devait initialement avoir lieu le 9 mai 2020, mais a été remis à plusieurs reprises. À quel point ce fût difficile pour toi?
MD: Les négociations avec le clan Shields ont été difficiles, surtout à cause de la COVID. À chaque fois, nous devions faire des concessions. Nous étions prêts à tout pour la réalisation de ce combat, donc nous avions acquis à leur demande. Cependant, je réalisais que ce dossier causait plus de tort à ma carrière que du positif parce que le duel n’avait pas lieu. Comme j’ai 34 ans et que j’ai été inactive depuis novembre 2019, on se devait de trouver un autre défi. J’ai appris beaucoup sur la résilience et le moment présent durant cette longue attente.
JJ: Est-ce qu’il y aura une foule le 5 mars à Flint lors de l’événement?
MD: Je ne suis pas informée pour le moment, mais il y a des discussions à cet effet.
JJ: Claressa Shields est sans aucun doute la meilleure boxeuse de son époque. En ce moment, elle est championne unifiée dans 2 catégories en même temps, ce qui est une première dans l’histoire du noble art, sans oublier le reste de ses accomplissements. C’est toute une commande.
MD: Depuis que je suis toute petite, je voulais devenir la meilleure des meilleures. Lorsque j’ai commencé à boxer, je voulais accomplir la même chose: arriver à unifier les 4 couronnes de ma catégorie et battre Shields qui est à la top livre pour livre de ma discipline, sera ma façon de prouver que je suis la meilleure. Ce défi me donne énormément d’énergie et me motive à surpasser mes limites. C’est le but de toute une vie.
JJ: Shields a le projet de performer en MMA en même temps que la boxe. Elle serait la première à le faire. Elle parle fréquemment de Laila Ali, Savannah Marshall, mais très peu de toi. Elle a beaucoup de distractions. Crois-tu que ça peut jouer contre elle?
MD: Je crois que c’est à double tranchant. Peut-être qu’elle est vraiment distraite et si c’est le cas, elle aura une grosse surprise le 5 mars prochain ou elle veut nous faire croire que ses distractions peuvent nuire. En fait, elle serait vraisemblablement dans la meilleure forme de sa carrière. L’important, c’est de ne pas tomber dans ce piège et d’arriver dans une forme optimale pour ce duel.
JJ: Tu es la seule gauchère du top 20 de ta catégorie et peu d’experts te donne une chance de l’emporter. La dernière fois que Shields s’est mesurée à un pugiliste de ce style fut contre Sydney ”The Ginger Ninja” LeBlanc le 16 juin 2017. À quel point c’est un avantage pour toi contre une boxeuse de la trempe de T-Rex Shields?
MD: Ça peut lui poser problème, car elle a affronté une seule dans sa carrière professionnelle et je suis championne également. J’ai aussi l’avantage de la portée que je vais utiliser le moment venu. Ce sont deux points forts qui peuvent jouer en ma faveur.
JJ: Il y a eu des surprises dans l’histoire de la boxe. On peut penser à Muhammad Ali/Sonny Liston, James Buster Douglas/Mike Tyson, Oliver McCall/Lennox Lewis et plus récemment Jessica McCaskill contre Cecilia Braekhus. Tu seras la négligée le soir du combat. Est-ce une source de motivation de défier la logique?
MD: Clairement une source de motivation. On a vu durant les dernières années qu’il y a de plus en plus de surprises comme Andy Ruiz/Anthony Joshua. Jamais on aurait pensé que McCaskill l’emporterait contre Braekhus et c’est pourtant arrivé. Donc, c’est possible pour moi de causer la surprise. Le rôle de la négligée me ramène à quand j’étais petite et qu’on me disait que je n’étais pas ”game”. On s’est vite rendu compte que je l’étais énormément et ce fût parfois dangereux pour moi (rires). De me retrouver à nouveau dans cette situation est en fait un clin d’oeil à mon enfance. Ça allume le feu en moi et je veux prouver à tous que je peux gagner contre Shields.
JJ: Tu seras pour le première fois de ta carrière en terrain hostile, dans son bastion de Flint, Michigan en plus d’être la première Québécoise à prendre part à une finale d’un Pay Per View aux États-Unis. Quelles sont tes impressions?
MD: Je suis préparée à me battre chez elle, c’est une partie du défi. Ça me rappelle mes années de boxe olympique et de karaté alors que je me battais souvent à l’extérieur du Québec.
JJ: Merci beaucoup Marie-Ève et bonne chance.
MD: C’est toujours un plaisir!